Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques

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« “C’est la fin du bourdonnement souverain du monde résumait, à l’automne 2017, le philosophe Thierry Hoquet, dans les colonnes du quotidien Le Monde. Souverain parce qu’il règne sur nos souvenirs, sur les images que nous conservons de ce qu’était, et doit être, un paysage d’été. Souverain aussi parce que ce bruit de fond, cette bande-son de l’histoire de la planète, est l’empreinte sonore de ce monde minuscule et méprisé, mais dont l’existence est l’une des conditions au maintien de la vie. Sans ces multitudes de bestioles grouillantes et bourdonnantes, il n’y a plus les oiseaux, les poissons, ni aucun des animaux qui s’en nourrissent, il n’y a plus les plantes à fleurs, sauvages et domestiques, dont ils permettent la reproduction par la pollinisation — cette incroyable et accidentelle trouvaille de l’évolution. Ce qui s’étiole et disparaît sous nos yeux, c’est ce qui permet à tout le reste d’exister. C’est le carburant, c’est le tissu même de la vie ».

Stéphane FOUCART, Et le monde devint silencieux. Comment l’agrochimie a détruit les insectes, Paris, Éditions du Seuil, 2019, p. 12.

Les substances néonicotinoïdes sont des insecticides qui se diffusent par systémie dans toutes les parties de la plante, y compris la racine, et intoxiquent les espèces cibles et non cibles sans aucune distinction ainsi que de nombreuses autres espèces vivantes. Les molécules les plus courantes sont l’imidaclopride et le thiaméthoxame, massivement utilisées en France à partir des années 1990.

De très nombreuses études scientifiques internationales ont démontré les effets néfastes de l’utilisation des substances néonicotinoïdes sur l’ensemble de la biodiversité, responsables en particulier du déclin massif des abeilles mellifères, des bourdons et des oiseaux ou encore de l’empoisonnement durable des sols et des eaux. Ces substances sont utilisées en enrobage de semences, raison pour laquelle elles persistent durablement dans les sols et se propagent vers d’autres terres que celles d’implantation et atteindre les cours d’eau. Les insectes butineurs en ingèrent lorsqu’ils se nourrissent de ces plantes. Ces effets néfastes ont conduit le législateur à interdire, à compter du 1er septembre 2018, l’utilisation de ces substances par la loi no 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, créant l’article L. 253-8(II) du code rural et de la pêche maritime. Cette loi tolérait néanmoins quelques dérogations jusqu’au 1er juillet 2020.

À la suite d’une prolifération de pucerons verts dans les régions de culture de betteraves en avril 2020, insectes vecteurs de la jaunisse des betteraves qui diminue les rendements de production, cette filière ainsi que l’industrie sucrière ont milité pour une nouvelle autorisation de l’utilisation des néonicotinoïdes en arguant de sa nécessité pour protéger les cultures de betteraves.

L’article 1er de la loi critiquée disposait en ce sens que :

« L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, précisées par décret, et des semences traitées avec ces produits est interdite.

Jusqu’au 1er juillet 2023, des arrêtés conjoints des ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement, pris après avis du conseil de surveillance mentionné au II bis, peuvent autoriser l’emploi de semences traitées avec des produits contenant les substances mentionnées au premier alinéa du présent II dont l’utilisation est interdite en application du droit de l’Union européenne ou du présent code. Ces dérogations sont accordées dans les conditions prévues à l’article 53 du règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil. »

L’alinéa 3 de cet article ne s’intéressait que superficiellement aux conséquences des dérogations autorisant l’utilisation de ces substances. Leurs potentielles retombées n’étaient pas encadrées, dès lors qu’à ce titre n’était simplement prévu que les arrêtés de dérogation interdiront temporairement le semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d’insectes pollinisateurs après l’emploi de semences traitées avec des substances néonicotinoïdes.

Par ces dispositions, la loi déférée est à notre sens inconstitutionnelle à plusieurs égards :

  • elle méconnaît l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains ;
  • elle porte atteinte au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et de participer aux décisions ayant une incidence sur l’environnement ;
  • elle porte atteinte au principe de non-régression environnementale, en lien avec le devoir constitutionnel de prendre part à l’amélioration de l’environnement et au principe de prévention ;
  • elle remet en cause des situations légalement acquises et en tout état de cause méconnaît des attentes légitimes ;
  • elle introduit une disproportion manifeste dans les appréciations entre la liberté d’entreprendre et l’objectif constitutionnel de protection de l’environnement, ce en méconnaissance du principe d’intégration ;
  • elle porte atteinte au droit de propriété des apiculteurs et d’autres agriculteurs ;

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