Il est constant que les banques françaises participent à l’expansion des activités fossiles. Le rapport du GIEC, publié en août 2021, a alerté sur le fait « qu’à moins de réductions immédiates, rapides et massives des émissions de gaz à effet de serre, la limitation du réchauffement aux alentours de 1,5°C, ou même 2°C, sera hors de portée ».
Selon le rapport de l’Agence internationale de l’énergie (ci-après « AIE »), aucun investissement dans de nouvelles installations pétrolières ou gazières ne devrait être réalisé, signifiant la fin de l’expansion des énergies fossiles, afin de limiter le réchauffement climatique à +1,5°c.
Si certains engagements des banques françaises sont notables, notamment sur le charbon, ils sont insuffisants pour permettre d’enclencher la transition écologique de l’ensemble de leurs portefeuilles et de se conformer aux objectifs climatiques de l’Accord de Paris.
Peut-on les contraindre à s’aligner avec l’Accord de Paris et exiger notamment de cesser immédiatement de soutenir l’expansion des énergies fossiles en stoppant tout financement et investissement envers les projets fossiles, et d’adopter toutes mesures appropriées permettant de limiter leur contribution financière au réchauffement climatique ?
Selon les travaux parlementaires, le devoir de vigilance consiste « en une série de mesures appropriées dans le but de réaliser un objectif défini comme une norme nationale ou internationale, à respecter un niveau minimal de prudence dans la prise en compte d’un standard extérieur ». La question de l’intégration des risques climatiques parmi les risques d’atteintes graves pour les droits humains et l’environnement au sens de la loi devoir de vigilance n’a pas été tranchée devant les tribunaux à ce jour.
Le lien existant entre le dérèglement climatique et les risques d’atteintes graves pour les droits de l’homme et l’environnement doit donc être démontré devant le juge français afin de remédier à l’absence de texte ou de jurisprudence à la fois sur la norme de référence fixant l’objectif à atteindre et sur le standard extérieur de prudence à prendre en compte pour évaluer le degré de vigilance des opérateurs économiques face aux risques climatiques.
Ce lien entre le dérèglement climatique et les risques d’atteintes graves sur les droits humains et l’environnement est mis en évidence par de multiples instances scientifiques et internationales et justifie de mobiliser la loi sur le devoir de vigilance pour construire un devoir de vigilance climatique opposable aux opérateurs économiques.
Comme l’énonce le professeur François-Guy TRÉBULLE :
« il semble difficilement contestable désormais que le climat se rapporte aux droits humains et à l’environnement or la loi prévoit que le plan doit prévoir “des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves”, ce qui implique des actions positives […] et l’absence d’action positive semble bien pouvoir être analysée comme fautive »
Preuve de la reconnaissance du lien entre le dérèglement climatique et les risques d’atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement, beaucoup d’entreprises font aujourd’hui figurer les risques climatiques au sein de leur plan de vigilance. Bien que l’identification de ces risques et les mesures proposées soient largement insuffisantes, il semble que la question de l’intégration de ces risques au sein du devoir de vigilance ne soit plus contestée.
- de l’accord international de référence ratifié par une grande majorité d’États qu’est l’Accord de Paris ; l’alignement des portefeuilles et l’adoption de trajectoire de réduction des émissions de GES conformes à l’Accord de Paris sont des références universellement utilisées aussi par bien par les scientifiques, les juristes que par les industriels et les financiers.
- des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ci-après GIEC) et du panel des Nations Unies sur le climat (PNUE) ;
- des recommandations des institutions internationales alertant sur la nécessité de réduire voire de stopper l’expansion fossile pour s’aligner sur l’Accord de Paris, à l’instar de celles de l’Agence internationale de l’énergie (ci-après AIE) et de l’ONU Environnement ;
- des Principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits humains et des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales ainsi que les guides spécifiques explicitant l’application desdits principes pour les acteurs bancaires et financiers.
Dans un récent arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles dans l’affaire Total Climat rejetant l’exception d’incompétence soulevée par Total, les juges ont fondé la compétence du tribunal judiciaire sur la qualification de préjudice écologique retenue par les demandeurs s’agissant des risques climatiques. A la faveur d’une question procédurale, il s’agit de la première reconnaissance par le juge judiciaire français que les risques climatiques constituent per se un préjudice écologique.