Quand il applique la loi, le juge produit du droit
Portalis, l’un des plus fameux rédacteurs du Code civil le rappelait déjà en 1804 lorsque notre premier Code a été adopté :
« Il y a une science pour les législateurs comme il y en a une pour les magistrats ; et l’une ne ressemble pas à l’autre. La science du législateur consiste à trouver dans chaque matière les principes les plus favorables au bien commun : la science du magistrat est de mettre ces principes en action , de les ramifier , de les étendre, par une application sage et raisonnée, aux hypothèses privées, d’étudier l’esprit de la loi quand la lettre tue »
Aujourd’hui, à quelle image pense-t-on à l’évocation du « droit » ?
A l’ensemble des règles adoptées par les pouvoirs publics, au premier rang desquelles, la loi, la Constitution, les traités et toutes les autres normes qui rythment notre quotidien.
Il s’agit là du droit écrit en vue d’organiser la société et de prévenir les conflits.
A quelle image pense-t-on à l’évocation du juge ?
A l’ensemble des personnes en robe rouge ou noire, assises au tribunal conformément à une certaine image d’Epinal réductrice, mais surtout à la parole rendue par ces magistrats.
Il s’agit là d’un droit dit en vue de trancher et régler les conflits.
Que nous apprennent ces constats ?
Que le droit est d’abord un ensemble de textes écrits et donc, a priori, inertes, mais qu’il est aussi un ensemble de décisions dont la teneur est de dire de quelle manière ce texte-ci doit s’appliquer dans ce cas-là.
La fonction du juge est de dire le droit selon la loi. Or, la loi est générale, abstraite, impersonnelle et ne peut faire en sorte d’embrasser tous les cas qui se présentent. Les juges sont alors des « lois vivantes », des « lois vives et parlantes ». Le juge diseur du droit se trouve placé entre la loi et la justice. (Jacques Krynen, Le théâtre juridique – Une histoire de la construction du droit, Paris, Gallimard, 2018, p. 245 et s. )
Il convient donc de se figurer le droit à l’image de l’iceberg : l‘ensemble du droit écrit constituant sa partie émergée et l’ensemble du droit dit sa partie immergée, « la moins visible mais la plus vaste et la plus créatrice » (J. Krynen, 2018). En effet, dire le droit a toujours été désigné par le terme de iurisdictio, signifiant rigoureusement « être sous la juridiction de ». Autrement dit, tout citoyen français est sous la juridiction de la loi française et sous la juridiction des juges français.
La connaissance de la loi est possible parce que sa lettre est figée. Mais la connaissance de la iurisdictio est plus complexe. Cloisonnée en autant de matières que le droit comporte (civile, pénale, commerciale, administrative…), elle nécessite de se projeter dans la dynamique de décisions rendues sur la base d’un même texte pour régler des conflits différents.
À partir de cette variété inhérente aux « tumultes individuels et aux revendications de la vie collective », par leur jurisprudence, résultat de leurs interprétations, les juges construisent des ensembles cohérents et évolutifs de décisions énonçant le droit dit.
- Considérant que ces décisions ne sont prises qu’au terme d’une procédure contradictoire grâce à laquelle les parties s’expriment chacune leur tour ;
- Attendu que l’audace et l’ingéniosité des conclusions d’un avocat contribuent largement à la réflexion précédant la parole du juge ;
- Par ces motifs, l’occasion nous est offerte de peser sur la production du droit dit puisque « la jurisprudence est constructive du droit. Elle est une source du droit dans d’aussi grandes proportions que la loi ».
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