Ordonnance du juge de la mise en état rendue le 6 juillet 2023 Tribunal judiciaire de Paris — 5ème chambre, 2ème section
L’ordonnance du Juge de la mise en état opère une double restriction de l’accès à la justice :
1. En posant trois nouvelles conditions, absentes de la loi sur le devoir de vigilance, relatives à l’articulation entre la mise en demeure et l’assignation
- La recevabilité des parties demanderesses à une instance fondée sur la loi sur le devoir de vigilance serait conditionnée par l’envoi de la mise en demeure en leur nom et pour leur compte ;
- La mise en demeure devrait être suffisamment précise afin de constituer une interpellation suffisante pouvant servir de base de négociation utile avant la délivrance de l’assignation ;
- Les demandes visées dans l’assignation devraient être identiques à celles de la mise en demeure.
2. En élargissant l’application de ces trois nouvelles conditions à d’autres actions :
- L’action en prévention du préjudice écologique est encadrée par l’article 1252 du Code civil et n’est pas conditionnée par une mise en demeure préalable ;
- En rapprochant ce régime de celui de l’article L. 225-102-4 du Code de commerce, l’ordonnance permet que les conditions plus restrictives du second s’appliquent au premier.
L’ordonnance du Juge de la mise en état opère également une double restriction hautement critiquable de l’office du juge en matière de justice climatique :
1. En posant une nouvelle condition à la recevabilité des collectivités territoriales, ces dernières n’auraient intérêt à agir qu’en invoquant un préjudice particulier affectant leur territoire et uniquement celui-ci, condition absente des textes (article 1248 du Code civil) ;
2. En ignorant le régime spécifique de la réparation du préjudice écologique, le Juge de la mise en état use des critères classiques de la réparation (notamment l’exigence d’un caractère personnel du préjudice) là où ces critères n’ont justement pas vocation à intervenir.
Si l’actualité de l’année 2023 s’est majoritairement focalisée sur les discussions relatives à la proposition de directive européenne du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, le tribunal judiciaire de Paris — dont la compétence exclusive en matière de devoir de vigilance a été conférée par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire — rend, depuis fin février 2023, ses premières décisions sur la mise en œuvre de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (ci-après, « Loi DV »).
La plus récente de ces décisions est une ordonnance rendue par le Juge de la mise en état (ci-après, « JME ») en date du 6 juillet 2023 (ci-après, l’« Ordonnance ») dans l’affaire qui oppose, depuis 2019, la multinationale TOTALENERGIES à 22 demanderesses, associations et collectivités locales (ci-après, l’« Affaire Total Climat »).
À la suite de la publication de son premier plan de vigilance en 2018, TOTALENERGIES est interpellée par plusieurs collectivités et associations qui dénoncent son inaction face au changement climatique . Le 19 juin 2019, à la suite de la publication d’un second plan de vigilance par la multinationale et de vaines tentatives de discussion entre les instances dirigeantes de TOTALENERGIES et les représentants de certaines collectivités et associations , la société est mise en demeure par 14 collectivités et quatre associations de respecter les obligations prévues à l’article L.225-102-4 I du Code de commerce, en publiant un nouveau plan de vigilance dans un délai de trois mois à compter de la réception du courrier de mise en demeure. En particulier, la mise en demeure énonce que les actions prévues dans le plan de vigilance ne permettent pas d’atténuer les risques et de prévenir les atteintes graves résultant d’un réchauffement global au-delà du seuil de 1,5 °C visé à l’article 2 de l’Accord de Paris.
Le 28 janvier 2020, les associations et collectivités demanderesses ont assigné la société TOTALENERGIES devant le tribunal judiciaire de Nanterre sur le fondement de l’article L. 225-102-4, I, 1°) et II du Code de commerce pour manquement à ses obligations de vigilance, et sur le fondement de l’article 1252 du Code civil afin de prévenir les dommages environnementaux résultant des émissions incontrôlées de gaz à effet de serre (ci-après « GES ») rattachées aux activités de la société.
À la suite du transfert de l’Affaire « Total Climat » par ordonnance du 10 février 2022 du JME du Tribunal judiciaire de Nanterre au tribunal judiciaire de Paris et à la tenue de deux audiences de mise en état, l’Ordonnance déclare le 6 juillet 2023 les demanderesses irrecevables en leur action.
L’Ordonnance du JME soulève plusieurs interrogations relatives à :
1. L’interprétation — par certains aspects supra legem et par d’autres, contra legem — faite par le juge de l’articulation entre le mécanisme de mise en demeure et l’assignation, en faveur d’une vision restrictive et contraignante de l’introduction d’instance sur le fondement de la Loi DV. Cette approche s’inscrit dans une approche « managériale » de la Loi DV qui la vide de son sens premier.
2. La limitation, si ce n’est le renoncement, par le JME de son office et, subsidiairement, de celui des juges du fond méconnaissant le régime dérogatoire de réparation du préjudice écologique tel qu’issu de la loi du 8 août 2016 et de l’intérêt à agir des collectivités tel que défini par cette même loi.
Si l’actualité de l’année 2023 s’est majoritairement focalisée sur les discussions relatives à la proposition de directive européenne du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, le tribunal judiciaire de Paris — dont la compétence exclusive en matière de devoir de vigilance a été conférée par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire — rend, depuis fin février 2023, ses premières décisions sur la mise en œuvre de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (ci-après, « Loi DV »).
La plus récente de ces décisions est une ordonnance rendue par le Juge de la mise en état (ci-après, « JME ») en date du 6 juillet 2023 (ci-après, l’« Ordonnance ») dans l’affaire qui oppose, depuis 2019, la multinationale TOTALENERGIES à 22 demanderesses, associations et collectivités locales (ci-après, l’« Affaire Total Climat »).
À la suite de la publication de son premier plan de vigilance en 2018, TOTALENERGIES est interpellée par plusieurs collectivités et associations qui dénoncent son inaction face au changement climatique . Le 19 juin 2019, à la suite de la publication d’un second plan de vigilance par la multinationale et de vaines tentatives de discussion entre les instances dirigeantes de TOTALENERGIES et les représentants de certaines collectivités et associations , la société est mise en demeure par 14 collectivités et quatre associations de respecter les obligations prévues à l’article L.225-102-4 I du Code de commerce, en publiant un nouveau plan de vigilance dans un délai de trois mois à compter de la réception du courrier de mise en demeure. En particulier, la mise en demeure énonce que les actions prévues dans le plan de vigilance ne permettent pas d’atténuer les risques et de prévenir les atteintes graves résultant d’un réchauffement global au-delà du seuil de 1,5 °C visé à l’article 2 de l’Accord de Paris.
Le 28 janvier 2020, les associations et collectivités demanderesses ont assigné la société TOTALENERGIES devant le tribunal judiciaire de Nanterre sur le fondement de l’article L. 225-102-4, I, 1°) et II du Code de commerce pour manquement à ses obligations de vigilance, et sur le fondement de l’article 1252 du Code civil afin de prévenir les dommages environnementaux résultant des émissions incontrôlées de gaz à effet de serre (ci-après « GES ») rattachées aux activités de la société.
À la suite du transfert de l’Affaire « Total Climat » par ordonnance du 10 février 2022 du JME du Tribunal judiciaire de Nanterre au tribunal judiciaire de Paris et à la tenue de deux audiences de mise en état, l’Ordonnance déclare le 6 juillet 2023 les demanderesses irrecevables en leur action.
L’Ordonnance du JME soulève plusieurs interrogations relatives à :
1. L’interprétation — par certains aspects supra legem et par d’autres, contra legem — faite par le juge de l’articulation entre le mécanisme de mise en demeure et l’assignation, en faveur d’une vision restrictive et contraignante de l’introduction d’instance sur le fondement de la Loi DV. Cette approche s’inscrit dans une approche « managériale » de la Loi DV qui la vide de son sens premier.
2. La limitation, si ce n’est le renoncement, par le JME de son office et, subsidiairement, de celui des juges du fond méconnaissant le régime dérogatoire de réparation du préjudice écologique tel qu’issu de la loi du 8 août 2016 et de l’intérêt à agir des collectivités tel que défini par cette même loi.